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Visite du Mémorial de Nankin:

Retour sur un passé chinois douloureux

Crédits Photo: Aurore Gavenda, mars 2017

Nankin est une ville à l'histoire riche dont un des pans les plus récents se situe au moment du dernier conflit sino-japonais. Dans la mémoire de la Seconde Guerre mondiale aujourd'hui en Chine, cette ville a en effet une place primordiale. Capitale du gouvernement nationaliste de Tchang Kai-tchek, Nankin est attaquée par les forces nipponnes à la suite de la défaite de Shanghai et capitule à son tour le 13 décembre 1937. De la prise de la ville résulte ce qui est aujourd'hui un des plus grands traumatismes pour la société chinoise: le Massacre de Nankin qui dura six semaines. En Chine, les effets de cette guerre se font toujours sentir tant au niveau politique que régional ou international ce qui nous montre l'importance des politiques mémorielles qui y sont liées. Aujourd'hui, le pays entier se présente comme une « victime oubliée » de ce conflit et demande réparation et excuses de la part du Japon, agitant pour cela le fantôme du massacre. De plus à la suite de son entrée dans l'économie de marché dans les années 1980, le gouvernement chinois a connu une crise de légitimité à la suite de l'effondrement de l'idéologie socialiste sur laquelle il se basait auparavant. Pour pallier cette crise s'est alors inscrit sur la scène chinoise un mouvement de renforcement du nationalisme né de la réactivation de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, utilisée pour présenter le Parti au pouvoir comme héros, sauveur et protecteur de la nation.

Devenu un élément central de la mémoire de cette guerre depuis le début des années 1990, se remémorer le massacre est donc aujourd'hui un des socles du nationalisme chinois. Dans cette optique, le Mémorial de Nankin et son musée, construits sur une fosse commune où sont enterrées les victimes, est aujourd'hui devenu un centre national pour « l'éducation patriotique » des chinois, et nous permet de comprendre une partie de la mise en scène de cette mémoire par les sphères du pouvoir. Si l’exposition brutale d’un grand nombre d’atrocités a de quoi faire frissonner les plus avertis, elle permet aussi de mesurer la manière dont le gouvernement central pose cette partie de l'histoire au centre de la signification de « nation chinoise ». Aujourd'hui, la visite du Mémorial est un pèlerinage obligatoire pour tout chinois, presque un rite de passage. On entre dans le musée entouré d'une bande de touristes goguenards, presque moqueurs et pressés de consommer, qui dès l'entrée usent et abusent des selfies, obligeant les responsables de la sécurité à les réprimander. On sort de ce musée dans un silence pesant, entouré de visages graves, sérieux et préoccupés. Il suffit de passer quelques jours en Chine pour mesurer la rareté de ce phénomène. Pendant la visite, quelques « 日本鬼子 »(prononcer ribenguizi), c'est à dire « démons japonais », sortent de la bouche des plus vieux mais globalement le silence est maître. Comment donc ce lieu est-il mise en scène pour faire ressentir soixante-dix ans plus tard à tout un peuple, les souffrances du passé et faire ressurgir, à l'issue de la visite, un orgueil national blessé ?

Visite au musée

Il suffit de sortir du métro pour l'apercevoir, grande bâtisse grise et sombre, impossible de se perdre ou de se tromper. La suite n'est pas très compliquée, comme partout en Chine il faut suivre le flot de personnes pour trouver l'entrée. Néanmoins une première surprise se produit à la sortie même du métro : un grand nombre de marchands ambulants se précipitent sur les futurs visiteurs pour leur vendre … des drapeaux chinois. Ce questionnement trouvera néanmoins rapidement une réponse à lors de la visite.

L'entrée annonce d'emblée la couleur, une fois passé les portiques de sécurité – incontournables en Chine – on tombe presque immédiatement sur une immense statue représentant une femme éplorée, un enfant mort dans ses bras. Une fois la surprise passée, on se rend compte que c'est en fait toute une allée qui est peuplée de statue exposant les familles ruinées, les vies arrachées, les femmes violées et les civils massacrés lors de ces six semaines de massacre.

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Crédits Photo: Aurore Gavenda, mars 2017

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Crédit Photo: Aurore Gavenda, mars 2017

Au bout, une grande place entourée de graviers symbolisant les anciennes fosses communes. Sur les murs, écrits d'une écriture massive et dans toutes les langues, on peut voir « 300.000 victimes ».

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Crédits Photo: Aurore Gavenda, mars 2017

Ce chiffre, qui sera rappelé tout au long de la visite, est un des premiers signes de l’importance que met le gouvernement chinois sur ce site. En effet, le nombre de victimes du massacre est toujours aujourd'hui incertain mais surtout contesté par beaucoup. Pour commencer les nationalistes japonais qui nient toujours l’existence du massacre, refusent bien entendu d'admettre ce chiffre. Mais même les chercheurs occidentaux qui se sont penchés sur la question n'ont jamais pu avoir aucune certitude et ainsi les conclusions du procès de Tokyo avaient aboutis à un chiffre moindre. Toutefois ce chiffre de 300.000 a été annoncé par le gouvernement chinois à l'issue des Tribunaux Militaires de Nankin, il est hors de question pour les autorités de revenir dessus. Ainsi, lors de la visite de ce mémorial, la controverse est close. On entre ensuite dans le musée, où l'on est accueilli par un bref extrait d'images d'archives montrant la chute de la ville. Puis la première salle, entièrement consacrée à la mémoire des victimes, dont les noms sont gravés sur les murs. « 300.000 » est encore mentionné et le nombre de noms affiché est impressionnant. Dans cette salle sombre et construite pour imposer le respect, le silence commence et ne s’arrêtera réellement que lorsque la visite atteindra le « Parc de la paix » c'est à dire, sa dernière étape.

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Crédits Photo: Aurore Gavenda, mars 2017

Commence alors l'exposition. Sur un rythme très lent défile lentement l'histoire du massacre de Nankin. La première étape nous fait passer de la bataille de Shanghai, où la résistance chinoise est fièrement exposée, à la chute de Nankin où c'est cette fois ci la faiblesse de l'armée nationaliste qui est démontrée. Il semble rapidement qu'est exposé tout ce qui a pu être retrouvé des tenues des militaires, aux briques des monuments détruits, ainsi qu'une multitude de photographies. Un fait très intéressant est à noter dès le début : toutes les légendes sont systématiquement en trois langues différentes : chinois, anglais et japonais. En suivant ce parcours, il n'est pas difficile de se laisser envahir par l'ambiance de la guerre et la sanglante prise de Nankin, le bruit des bombardements semblant accompagner, en parfait accord, le fil des explications. Au bout du couloir, se dresse un mur en carton symbolisant ceux de l'ancienne ville et la capitulation du 13 décembre 1937. Si l'attraction reste modeste, l'illusion a été parfaite pour le visiteur qui, pendant une seconde, s'est demandé à quel point ce musée pouvait lui faire ressentir l’ampleur du désastre exposé.

S'ensuit alors un moment lourd de sens : celui des témoignages des rescapés. Ceux des soldats, ceux des pillages, ceux des massacres de prisonniers puis de civils, ceux des viols et pour finir ceux des occidentaux présents sur place. La lente litanie de ces moments vécus finit par faire basculer les touristes de la tristesse au dégoût. L'attention des premières heures se transforme peu à peu en un sentiment d’impatience, d’une volonté d'en finir pour sortir, d'un écœurement qui semble ne jamais vouloir cesser. Ou tout du moins, ce ressenti est celui d'un occidental car les chinois, eux, totalement silencieux, lisent avec lenteur et respect toutes ces lignes, n'oublient aucune photo et ne manquent pas d'expliquer aux plus jeunes les moindres détails de chacune de ces histoires. Un nouveau moment de choc viens rompre de monotonie de l'exposition des atrocités : à la suite d'un témoignage d'un homme racontant comme sa famille s'est faite massacrée, se trouve la reconstitution d'une petite maison dans un coin sombre. En s'approchant on s'aperçoit que l'on peut regarder par la fenêtre. On se penche et un premier réflexe nous fait sursauter à la vue de jambes allongées sur le sol, puis on constate qu'est mis en scène la reconstitution exacte de ce témoignage à l'aide de mannequin de cire et de faux sang. Au cas où le lecteur aurait du mal à comprendre.

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Crédits Photo: Aurore Gavenda, mars 2017

C'est là qu'on peut faire une première observation permettant de se rendre compte du nationaliste présent dans ce lieu. En signe d'hommage et de respect, les chinois dépose au bord de la reconstitution des petites fleurs jaunes et des drapeaux chinois.

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Crédits Photo: Aurore Gavenda, mars 2017

On finit enfin sur un hommage aux rescapés et sur une explication du but de ce musée, préserver la paix, pour sortir dans un petit parc. Y figure un chemin avec, coulé dans du bronze, les traces de pieds des survivants sur lesquels les visiteurs sont invités à marcher pour poursuivre la visite. Le soulagement lors de la fin de cette visite est perceptible aussi bien chez les chinois que chez les occidentaux. Les discussions repartent timidement au fil du chemin pour s’arrêter brusquement lorsqu'on entre dans une nouvelle salle. En effet, celle- ci a pour but de conserver les squelettes exhumés dans les fosses communes lors des dernières fouilles. L'objectif affiché semble ici être l'authenticité. En effet, tous ces (corps) ontété remis dans la position exacte dans laquelle on les imagine avoir été tués. L'imagination n'est ici pas utile pour comprendre qu'on est face à une reconstitution d'une scène de massacre avec les ossements véritables des victimes. Au sortir de la salle, la visite est cette fois ci réellement finie est on entre dans le « parc de la paix » où les conversations ainsi que les selfies tant affectionnés par les chinois recommencent doucement à renaître.

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Crédits Photo: Aurore Gavenda, mars 2017

On a le temps de noter une multitude de fleurs et surtout de drapeau, déposés là en hommage aux victimes du massacre ou au traumatisme du pays ou peut-être même en symbole d'une nation à la fierté retrouvée. Ce drapeau, omniprésent lors de la fin du musée permet de mesurer le sentiment nationaliste qui envahit les chinois lors de cette visite et la ferveur dont ils font preuve au moment de le déposer en est le meilleur témoin.

Instrumentalisation du passé, revitalisation de la mémoire ou devoir de ne pas oublier ? Une fois les émotions passées il est impossible de ne pas se rendre compte à quel point ce mémorial est mis en scène, pour appuyer sur un traumatisme et le rendre plus vivace à la sortie qu'à l'entrée. Le sentiment nationaliste qu'il impulse n'est certes pas anodin et montre la volonté des autorités chinoises d'utiliser ce passé comme vecteur d'une nouvelle idéologie.

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Crédits Photo: Aurore Gavenda, mars 2017

Aurore Gavenda