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Taïwan : Province rebelle ou État indépendant ?

Analyse d’un pays dans l’ombre d’une superpuissance.           

Ayant perdu son siège à l’ONU en 1971 au profit du gouvernement de Pékin, Taïwan fait partie de ces rares pays dont le système étatique, autonome et viable,  ne bénéficie presque d’aucune reconnaissance internationale. Aussi appelée « République de Chine », conformément au régime politique instauré par Sun Yat-sen en 1912, l’île de Formose se situe sur une zone sensible où la fracture de l’identité chinoise, les intérêts de grandes puissances ainsi que les volontés expansionnistes de Pékin constituent les facteurs d’une équation géopolitique complexe.

“We are Taiwanese! We are Taiwanese! We are Taiwanese!”

Tels sont les mots entonnés par la foule le 16 janvier dernier lorsque Tsai Ing-wen est élue présidente de la République de Chine par une large majorité (56%). Après 8 ans de politique nationaliste menée par Ma Ying-jeou, Taïwan revêt les couleurs vertes du Parti Démocrate Progressiste. « Our democracy, national identity and international space must be fully respected” déclare Tsai dans le discours suivant sa victoire. L’objectif de la nouvelle présidente est clair : l’intégrité de l’île doit être préservée.

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Tsai Ing-wen, présidente de Taïwan.

Cette affirmation assigne une double réponse à la politique pro-chinoise de Ma ainsi qu’à la volonté du gouvernement de Pékin d’effectuer un rapprochement avec Taïwan. En effet, depuis la séparation avec la Chine continentale, la survie et la perpétuation de son régime représente un enjeu majeur pour la politique de l’île. Même si les relations diplomatiques entre les deux Etats sont figées depuis 65 ans, le détroit de Taïwan continue d’être une zone de conflit encore aujourd’hui.

Lorsque Mao Zedong proclame la République Populaire de Chine (RPC) le 1er octobre 1949, l’étendue du pouvoir nationaliste, vaincu mais pas anéanti, se réduit à l’île de Taiwan. Dans un contexte de guerre froide, les deux États réussissent à mettre à profit le système bipolaire mis en place de façon à assurer leur propre développement et leur sécurité, toujours dans l’idée que chacun prétend être le détenteur exclusif de la souveraineté nationale chinoise.

Mais lorsque le monde bipolaire s’effondre au début des années 1990, la Chine apparaît soudainement comme un acteur de taille sur la scène internationale et, qui plus est, dernier bastion de l’idéologie communiste. De leur côté, les États-Unis, grands vainqueurs de la Guerre Froide, ont pris soin sur plusieurs décennies de déployer en Extrême-Orient un arc de sécurité pour asseoir leur influence et éviter la propagation du modèle communiste en Asie Pacifique. Comptant parmi les composants de cette ceinture diplomatique, Taïwan représente une clé stratégique pour le gouvernement américain dans le but de limiter le pouvoir chinois. « L’île de Formose », comme on la surnomme, rend avide le géant asiatique qui voit en leur réunification un premier pas vers l’hégémonie régionale.

Mais la tâche n’est pas si aisée. Comme Pékin aime bien le rappeler, Taïwan a toujours fait partie de ce qu’on appelait autrefois « l’Empire du Milieu ». Si la Chine est capable de retracer l’histoire progressive et durable de sa civilisation sur plusieurs millénaires, elle n’est pas tant unique par sa longévité que par la création d’une idéologie nationale forgée durant toute cette période. Par la distinction d’une ligne culturelle continue, l’identité chinoise a exercé une influence très importante sur le continent asiatique pendant des siècles. Cette idée selon laquelle la culture chinoise est unique est indissociable a longtemps été indiscutable. Pourtant, Taïwan semble pour la première fois incarner la scission de cette identité puisqu’elle tend, depuis plusieurs années, à s’émanciper de la Chine continentale.

En effet, depuis 1987, l’île a libéralisé sa politique et son économie selon les modèles occidentaux. En l’espace de trente ans, elle connaît une croissance fulgurante au point que Taïwan réussit à se hisser au rang des plus grandes puissances asiatiques et mondiales. Lee Teng-hui, le premier président à être élu, se lance dans un large processus de dé-sinisation, permettant à la population taïwanaise de tisser le sentiment d’une appartenance insulaire grandissante.

C’est sur cette nouvelle vague nationaliste que le Parti Démocrate Progressiste surfe pendant deux mandats successifs de 2000 à 2008, durant lesquels le pays continu de promouvoir ouvertement la « taiwanisation ». Enfin, les dernières élections de janvier incarnent le début d’une étape ultime dans l’affirmation identitaire de l’île. Pour la première fois, le Kuomintang – signifiant littéralement « Parti nationaliste chinois » - se fait totalement évincer de la scène politique au profit de PDP, dont les antécédents politiques se sont construits, contrairement à son rival, uniquement sur les bases d’une société taïwanaise.

Très réactif aux attentes de la jeunesse, la campagne du Parti gagnant s’est inscrite dans les mouvements étudiants de 2014, contestataires des accords commerciaux avec Pékin, et a su offrir une image plus responsable face au KMT trop peu pragmatique et conservateur. Aujourd’hui, certains chercheurs s’accordent à dire que l’identité taïwanaise n’est plus un débat sur l’île car elle est définie et acceptée.

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Stéphane Corcuff, directeur de l’antenne de Taipei du CECF, note que          « l’identité taïwanaise n’est plus revendiquée, elle est désormais partagée. » (1)

La Chine ne voit cependant pas d’un bon œil cette « province rebelle » qui tend à s’éloigner plus en plus d’une éventuelle réunification. Si le PCC avait jugé bon de tirer quelques missiles au large de l’île dans les années 1995-96, les relations entre les deux États se sont néanmoins apaisées ces vingt dernières années. Le gouvernement de Pékin semble aujourd’hui plus enclin à abandonner le bâton en faveur de la carotte.

Sous la politique de Ma, des liens économiques forts se sont tissés selon une structure de libre-échange - à l’origine des manifestations étudiantes – si bien que la Chine devient le premier partenaire commercial de Taïwan devant les États-Unis. Ce rapport ambigu entre les deux pays est ainsi l’un des enjeux principaux de politique extérieure de la présidente entrante. Selon ses déclarations lors du discours d’investiture le 20 mai dernier, il est clair que Tsai va privilégier la stabilité et l’assise de son pouvoir en ménageant les ardeurs irrédentistes chinoises d’un côté et les nationalistes taïwanais de l’autre de façon à favoriser le statu quo.

Mais contrairement à son prédécesseur démocrate, Chen Shui-shi, elle bénéficie d’une majorité absolue du PDP au Yuan législatif (le Parlement taïwanais) ainsi qu’un contexte géopolitique plus favorable avec le « pivot asiatique » effectué par le gouvernement d’Obama, dont les motivations économiques peuvent faire l’objet d’une couverture diplomatique. Ces avantages sont susceptibles de reconfigurer les enjeux sécuritaires de la région et de donner enfin à Taïwan toute l’attention qu’elle mérite sur la scène internationale.

Vincent Calamand

Contact : vincent.calamand@gmail.com

(1) KILIAN Hubert, Taiwan : la vague verte entre au Parlement, Asialyst , Politique, 27 janvier 2016