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25 ans en Chine, toute la vie devant soi?

Jeune dans une Chine polluée

Témoignage

Yang Xiao a ving-cinq ans. Auparavant journaliste, elle travaille en ambassade depuis 5 ans et représente par essence la « Pékinoise internationale ». Elle est aussi ma collègue, et souvent nous discutons de la Chine, de nos différences et de nos points communs. Le sujet de l’écologie est venu sur le tapis pour la première fois au détour de la revue de presse matinale que nous devions préparer : sous la section « social issues » je classe un énième article sur le dernier scandale en date, celui du discours d’une jeune chinoise étudiant dans le Maryland.

Cette jeune chinoise, Yang Shuping s’exprimait devant l’ensemble de ses camarades de classe à l’occasion de la cérémonie de fin d’année. Étudiante étrangère dans une université américaine, elle a évoqué la liberté d’expression mais également la qualité de l’air en Chine comme étant les raisons principales de sa venue aux États-Unis. Son discours, traduit et rendu populaire sur Weibo et Youku – faisant parti des principaux réseaux sociaux chinois – a fait l’objet de réactions particulièrement agressives que Yang Xiao a bien voulu me traduire, alors qu’elle prépare son propre rapport sur les sujets populaires de Weibo : « La fille viens de Kunming (ville du sud de la Chine dans le Yunnan), une des villes les moins polluées de Chine. Son discours a été une véritable calomnie sur la Chine » ; « J’imagine que même les excréments aux États-Unis doivent sentir bon pour elle. Nous devons l’empêcher de revenir, ceux qui idolâtrent et ont une foie aveugle dans les choses étrangères ne sont pas réellement Chinois ». A la suite de ces réactions, le 22 mai 2017, Yang Shuping a présenté ses excuses sur Weibo, tout en soulignant qu’elle adore son pays – les réactions ayant été avant tout motivées par le caractère patriotique et le fait que la déclaration ai été faite à l’étranger. Ces excuses ont été reprises par le rédacteur en chef du média d’État Global Times, Hu Xijin, qui dans son éditorial affirmait que « la jeune et naïve » Yang Shuping avait probablement été manipulée par les États-Unis, hypothèse soutenue par de nombreux netizens.

En réaction à cette polémique, l'agence de presse Xinhua a mené un reportage vidéo dans la ville de Kunming, publié sur son compte Twitter. Le reportage s’intitule « Est-ce que les habitants de Kunming portent des masques anti-pollution ? », reprenant un passage du discours de Yang dans lequel elle s’extasiait sur le fait de ne pas avoir à porter de masque aux États-Unis. Dans cette vidéo surréaliste, on voit un journaliste de l’agence interroger des passants dans la rue sur la qualité de l’air à Kunming ainsi qu’une jeune femme Espagnole. Interrogeant un professeur d’école maternelle sur la nécessité de porter des masques anti-pollution alors que les enfants jouent dehors, la professeure répond : « Il n’y a pas besoin de porter de masque, la météo est bonne ». L’ensemble des interviewés affirment ainsi ne pas s’inquiéter de la pollution, et ne porter des masques que rarement, souvent pour se protéger des UV.

Yang Xiao et moi avons eu cette discussion de nombreuses fois, peut-être trop souvent ces derniers temps. En effet, durant le mois de mai dernier, une tempête de sable a fait exploser tous les compteurs, l’indicateur de qualité de l’air atteignant les 900 AQI. Pour donner une idée de la situation, à partir de 100 AQI, la ville de Paris est en alerte pollution et restreint la circulation des automobiles. Alors que j’empilais deux masques anti-pollution (plus par superstition que véritable foi dans l’efficacité d’un tel système) et me traînait jusqu’à mon lieu de travail pour la seule et unique raison que les bureaux sont équipées de filtres à air de qualité médicale, Yang Xiao elle, se présentait sans aucune protection.

" Mais tu ne portes jamais de masque? - Non, vraiment rarement. -Pourquoi ? – Je ne vois pas trop l’utilité, et en plus ce n’est pas pratique. – Mais tu as un filtre à air chez toi ? – Non. Je pense que je suis devenue immunisée."

Cette phrase m'a choquée sur le moment. Puis, je me suis souvenue que si au début de mon séjour à Pékin je portais mon masque chaque jour, récemment je l’enfile de moins ne moins. Oui, les niveaux de pollution se sont un peu améliorés, mais il serait plus raisonnable de le porter par principe de précaution. Je ne crois pas être « immunisée », cependant il est clair que j’ai commencé à développer des seuils de tolérance psychologique à la pollution beaucoup plus souples. On « s’habitue » à tout, et des taux de pollution qui m’aurait fait sauter au plafond hier ne m’inspirent plus qu’un soupir résigné. Notre employeur nous a fournis fin mars des masques de la marque « Valve », une marque européenne avec des certifications reconnues. Les masques coûtent autour de 250RMB neufs, mais comme tous les masques réutilisables en simili-tissus ils ont un problème majeur : leur forme. « Je ne porte jamais le masque que l’on m’a donné car je crois que cela a été conçu pour les nez européens, quand je le porte il y a des trous autour du nez, ça ne change pas grand-chose à l’air que je respire ! ». J’ai personnellement un nez européen, le même masque et je confirme qu’il faut de nombreux ajustements pour éviter de respirer l’air extérieur. Nous discutons de collègues portant des masques en plastique beaucoup plus efficaces, ressemblant à des masques à gaz. Ils sont également trois fois plus chers et rendent toute communication impossible.

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L'auteur Margaux Plurien) en masque réutilisable simili-tissu VS son colocataire, en masque plastifié. Crédits : Margaux Plurien : Torbjorn Amundsen Lien - 2017

Les seuls masques qui épousent la forme de mon visage de façon correcte sont les Dettol qui coûtent 30RMB pièce, l’équivalent d’un menu McDonald – et sont à usage unique, une dépense que de nombreux Chinois ne peuvent se permettre. Manque de moyens ou manque d’éducation sur le sujet, en période de pic de pollution on peut voir de nombreux masques en papier à usage unique, du type de ceux utilisés par les dentistes, portés autant par les adultes que par de jeunes enfants. Si ces masques ont une valeur symbolique, ils ne protègent absolument pas de la pollution.

Lorsque j'interroge Yang Xiao, nous en venons à parler de mariage et de famille rapidement : 25 ans, c'est en effet l’âge où l’on fonde une famille en Chine.

" Si tu avais un enfant, tu achèterais un filtre à air pour chez toi? Oui, et même durant la grossesse, pour protéger. – Mais pas maintenant ? – Non, maintenant ça va. Je pense que je ne suis pas aussi sensible que les Européens ! "

Tout le monde, parmi mes collègues chinois, critique la pollution à Pékin. Mais paradoxalement, peu s’en protège réellement. Et il est mal vu de trop souligner le paramètre « chinois » de l’équation, la fierté nationale restant très présente. Un autre sujet, souvent associé à la pollution m’interpelle :

" Penses-tu que les gens sont plus inquiets de la pollution atmosphérique ou de la sécurité alimentaire ? – Je pense que ça dépend, les riches peuvent acheter des produits alimentaires d’importation alors que l’air touche tout le monde, même un PDG. Moi, je n’achète jamais de produits bio Chinois, je n’ai pas confiance. Je ne pense pas qu’ils soient «réellement» bio, alors je préfère acheter moins chers et officiellement non-bio. "

Si la question de l’air donne l’impression d’avoir un aspect plus égalitaire, on observe la naissance d'oasis de luxe destinés au plus riches pour se protéger de la pollution. En décembre 2015, le China Daily soulignait l’arrivée de « bulles » dans les cours de récréations des écoles privées chinoises. Coûtant aux alentours de 5 millions de dollars, ces dômes recouvrent les terrains de jeux et sont équipés de filtres à air – garantissant aux enfants de pouvoir s’amuser et de faire du sport sans danger pour leur santé. Cependant, il s’agit encore une fois d’une solution réservée aux plus privilégiés.

Aujourd'hui, alors que les préparatifs du Dragon Boat Festival battent de leur plein, les médias d’État publient des articles sur la meilleure façon de reconnaître les « vraies feuilles de bambous » qui viendront envelopper les friandises traditionnels – des contre-façon, chargées en produits chimiques, étant en circulation- et les netizens expriment leur lassitude sur les réseaux sociaux. « Au lieu de nous apprendre à reconnaître les faux-produits, vous devriez être plus rigoureux dans la chasse au faux dès leur production ! ». C’est le même ras-le-bol qui monte au sein de la population la plus éduquée. Yang Xiao évoque ainsi plusieurs collègues ayant acheté des filtres à air et des masques de grande qualité pour se protéger de la pollution :

" C'est probablement la meilleure chose à faire, mais je ne peux pas me le permettre financièrement. C’est injuste que ma santé doivent dépendre des filtres que je peux m’offrir, et je ne suis même pas sûre que cela marche vraiment … Ce serait beaucoup mieux de régler le problème à sa source. "

Yang Xiao a grandi près de Harbin, dans le nord de la Chine. Comme la plupart des jeunes vingtenaires d’aujourd’hui, elle a vu la qualité de l’air se dégrader. Même si se protéger elle-même ne semble pas être la priorité pour le moment, elle s’inquiète de devoir fonder une famille dans un environnement pareil : « Je ne sais pas ce que je ferais si j’avais des enfants. De plus en plus de familles envoient les leurs étudier à l’étranger, de plus en plus tôt. ». La question se pose donc, allons nous vers une Chine polluée et vidée des enfants les plus fortunés ?

Margaux Plurien