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Regards sur le consensus de 1992

Le 25 juin dernier, le porte-parole chinois de l’Office des Affaires de Taïwan, An Feng-shan, annonce que « le mécanisme de communication bilatérale [entre Pékin et Taipei] a été suspendu »[1] depuis l’investiture de la nouvelle présidente taïwanaise, Tsai Ingwen. En effet, Pékin lui reproche de ne pas respecter le Consensus de 1992, accord tacite entre les deux rives du détroit qui affirme le principe « d’une Chine, deux systèmes ». Qu’en est-il donc de cette relation ambiguë qu’entretiennent la Chine et Taïwan depuis plus d’un demi-siècle ?

Ce qu'on appelle communément le Consensus de 1992 est issu de la première rencontre officielle à Hong Kong entre des représentants des deux pays. N’ayant débouché sur aucun texte ni traité permettant de formaliser la relation, un compromis y avait été trouvé reconnaissant l’existence d’une Chine unique fonctionnant selon deux systèmes différents : socialiste pour l’un et capitaliste pour l’autre. Si cette vision semble paradoxale, voire schizophrénique elle a permis d’apporter un élément de réponse théorique aux deux rives qui se revendiquent respectivement dépositaire du nationalisme chinois, et ainsi d’éviter un conflit sur le statut politique de Taïwan.

Cependant, cet accord soulève un certain nombre de controverses, notamment car il ne réussit pas à donner une définition précise de la Chine, laissant ainsi aux deux partis une liberté d'interprétation quant à leur propre vision du monde chinois. Si on peut donc affirmer l'échec de cette rencontre pour établir un cadre d’interaction entre les deux gouvernements, elle est néanmoins devenu un événement historique ayant permis (si ce n’est d’adoucir les relations inter-détroit) de briser la glace.

Il semble nécessaire, de rappeler que Taïwan était, à cette période de son histoire, en pleine transition démocratique, c’est-à-dire quand ses règles de gouvernance reposaient encore en grande majorité sur le régime militaire dictatorial connu par l’État de Formose pendant près de 40 ans. Bien que la rencontre eut lieu plusieurs années après l’abrogation de la loi martiale, le KMT[2] ne fut agréé ni par le peuple, ni par ses représentants nationaux pour traiter avec Pékin. Cela étant dit il paraît ainsi peu surprenant que la légitimité du consensus soit contestée par une majorité de la population taïwanaise, soucieuse de sa jeune démocratie, et notamment par le Parti Démocrate Progressiste fortement attachée à la souveraineté de l’île

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Tsai Ing-wen, la nouvelle présidente de la République de Chine

Tsai était restée prudente lors de son discours d’investiture. Outre l’accent mis sur les enjeux socio-économiques, elle avait subtilement abordé la politique étrangère de l’île en faisant allusion au Consensus de 1992 sans toutefois le mentionner spécifiquement. Elle s'était donc seulement contentée de le qualifier de « fait historique » qu'il est nécessaire de « respecter »[3] tout en déclarant que « le nouveau gouvernement mènera la politique du détroit conformément à la constitution de la République de Chine »[4]. A aucun moment n'a donc été évoqué le sujet de l’indépendance taïwanaise, l'accent de son discours étant mis sur l’importance de la stabilité du détroit.

En tenant de tel propos, Tsai rappelle que Taïwan est la « République de Chine », entrant ainsi dans une la démarche « une Chine, deux systèmes » mais en prenant le soin de prendre ses distances avec le Consensus de 1992 dont elle ne rappelle que la dimension historique remettant donc implicitement en cause sa légitimité. Si cette subtilité ne nous saute pas aux yeux, elle ne semble pas avoir échappé aux autorités de Pékin, pour qui la rencontre à Hong Kong est fondamentale.

Ainsi, une publication du quotidien chinois Global Times annonçait, dès l’investiture de Tsai, que le nouveau gouvernement taïwanais représentait une « menace » pour le principe d’une Chine unique et que contester la légitimité du consensus de 1992 serait « un facteur déterminant qui pourrait renverser les relations inter-détroit »[5]. En réponse, l’Office des Affaires Taïwanaises (à Pékin) a immédiatement suspendu la communication avec le Conseil des Affaires Continentales (à Taipei). Et c'est cette coupure, à laquelle Taïwan doit faire face aujourd'hui, qui représenterait pour certains analystes, une nouvelle campagne de pression exercée par la Chine afin d’imposer son propre cadre d’interaction bilatéral.

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Zhang Zhijun, responsable de l’Office des Affaires de Taïwan

Ce gel de la communication contribue donc à crisper d’avantage les relations entre Taïwan et la Chine, déjà tendues depuis la victoire du Parti Démocrate Progressiste en janvier dernier [http://audeladelamuraille.strikingly.com/blog/taiwan-province-rebelle-ou-etat-independant]. Et c'est sans compter le « tir accidentel » d’un missile antinavire taïwanais en direction de la Chine. Si, selon les autorités, il s’agirait d’une erreur commise lors d’un exercice de contrôle, il est difficile d’imaginer pire moment pour un tel incident. Le missile n’a cependant pas dépassé la ligne médiane du détroit mais a malheureusement heurté un bateau de pêche taïwanais, provoquant la mort de son capitaine et blessant deux des membres de l'équipage. Pour pallier ces récents événements qui ont impliqués l'armée, Tsai a annoncé des réformes militaires « drastiques » et « décisives », espérant ainsi détendre les relations avec la Chine. Chang Hsiao-yueh, la ministre du Conseil des Affaires Continentales, a ainsi demandé à Pékin d’adopter une attitude rationnelle face aux crises en rappelant que des bons réseaux de communications permettent d’éviter les erreurs de perceptions et de jugements.

On note donc depuis l’élection de Tsai Ing-wen à la présidence, une tension de plus en plus forte des relations sino-taiwanaises qui semble aujourd'hui atteindre un point culminant jamais atteint depuis une décennie. Et ces tensions pourraient sans doute, êtres liées à la politique menée par le PDP qui semble vouloir balayer celle de son prédécesseur Ma Ying-jeou dont les ambitions avaient été de créer un rapprochement avec la Chine. Toutefois, malgré une recrudescence de ces tensions et le gel des communications en cours, la stabilité et la paix de la zone semble toujours être l'objectif primordial des deux pays.

Vincent Calamand

Contact : vincent.calamand@gmail.com

[1] https://asialyst.com/fr/2016/06/27/la-chine-a-coupe-la-communication-avec-taiwan/

[2] le parti nationaliste ayant traité avec Pékin en 1992

[3] http://focustaiwan.tw/news/aipl/201605200008.aspx

[4] Nom officiel de Taïwan

[5] http://www.globaltimes.cn/content/984175.shtml