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Le M50 à Shanghai, quand l’art traverse les murs

Synthèse unique en son genre entre un monde occidental et un monde chinois, Shanghai apparait comme une ville déroutante. Que ce soit pour le sinophile croyant s’être approprié l’atmosphère bruyante et chaleureuse des ruelles traditionnelles ou pour l’occidental choqué par ce nouveau monde, Shanghai combine deux aspects conciliant une modernité futuriste et une survivance des traditions. C’est ici qu’émerge le M50, coincé entre les dimensions verticales et horizontales si spécifiques à cet ensemble urbain. Ancienne usine textile issue de la période maoïste, puis reconvertie en complexe artistique, le M50 apparait comme une tâche, une anomalie, révélatrice de cette ambiguïté surprenante mais représentative de l’ouverture de la Chine à une modernité qu’elle comprend à sa manière. Le terme d’industrie culturelle prend donc ici tout son sens : l’initiative artistique étant indissociable d’objectifs de rentabilité pleinement assumés. Si certains considèrent ce lieu comme un centre commercial entre magasins et galeries, d’autres y verront un espace où la créativité, l’autonomie voire la contestation peuvent se faufiler dans les interstices qu’offrent les mondes de l’art.

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Street art chinois, M50 Shanghai, février 2017, crédits photo: Aurore Gavenda

Ayant comme équivalent la zone 798 à Pékin ou d’autres quartiers officiellement dédiés à l’expression artistique, ce district apparaît comme l’un des théâtres où les relations entre le pouvoir et la société civile naissante se redéfinissent. Regroupant une communauté comptant plus d’une centaine de membres, l’attraction culturelle que constitue le M50 autour de la marchandisation des œuvres et des produits dérivés contribue à canaliser la force contestatrice de l’art aux yeux des autorités. Pourtant, l’implantation d’un tel complexe dans un quartier traditionnellement ouvrier connaît de nombreuses répercussions qui se révèlent, au regard de tout observateur, des phénomènes urbains. Au-delà des expositions autorisées et centralisées dans les galeries, le M50 agit aussi comme un catalyseur attirant des artistes de Shanghai et d’ailleurs. En effet, on peut considérer que l’initiative artistique déborde au-delà des murs d’enceintes de ce complexe en s’écoulant dans les rues adjacentes de ce quartier. Aux expositions légales d’artistes mondialement reconnus (à l’image d’Ai Wei Wei, voir photo ci-dessous) s’ajoutent désormais des initiatives créatrices issues de l’art de rue, s’affranchissant de toutes autorisations. Ce phénomène ayant pour acteurs des individus ou de petits collectifs (le crew de graffitis weekenders par exemple) a pourtant connu une histoire tumultueuse tant dans ses possibilités d’expression que dans son investissement de l’espace public.

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Les signes du zodiaque, exposition d'Ai Wei Wei, M50 Shanghai, février 2017, crédits photo: Aurore Gavenda

C’est aux alentours de la rue Moganshan que j’ai rencontré Chris, peintre de 27 ans ayant trouvé dans le graffiti une manière de combiner sa pratique et le souhait de s’exprimer publiquement à travers ses créations. Ce dernier m’a aidé à comprendre l’expansion de cette tache d’huile qu’est le M50 sur son quartier d’implantation. C’est ainsi que j’appris l’Histoire du street-art shanghaien à travers son émergence dans le district, véritable incubateur d’initiatives créatrices. La face underground de ce projet émerge dans les années 2010 suite à l’apparition des premiers graffeurs s’appropriant le mur d’enceinte séparant le M50 de la rue Moganshan. Même si au commencement, les réticences du voisinage et la présence policière forçait les street-artistes à agir de nuit, la situation a rapidement évoluée pour aboutir à une tolérance totale voir à des encouragements exprimés de la part des autorités. Chris, même s’il juge ce changement comme totalement positif, ne saisit toujours pas les tenants et les aboutissants de ce volte-face. De l’autre côté du mur, les street-artists ont désormais la possibilité de s’exprimer. Même si les aspirations contestataires de la jeunesse chinoise et shanghaienne ne sont pas pour autant encouragées, une fenêtre s’est ouverte. Questionnant Chris sur ce point, ce dernier soulève l’idée que la critique doit répondre à des standards de discrétion, et un message jugé subversif peut ainsi se camoufler derrière le côté humoristique ou dérisoire d’une œuvre. Si, les autorités laissent pour le moment le phénomène évoluer, elles gardent toutefois un œil sur ce dernier, suivant le proverbe chinois illustrant cette posture睁一眼闭一眼 (« ne fermer qu’un œil » ou « jouer à l’aveugle »). Il faut tout de même souligner que la part d’autocensure exprimée par les artistes semble aussi constituer une barrière importante. A cette dernière s’ajoute le fort contrôle qui caractérise les métropoles chinoises à travers les caméras de surveillances omniprésentes ou encore les multiples polices et milices quadrillant le territoire urbain.

Aujourd’hui, on peut ainsi considérer que le M50 incarne un point de rencontre entre l’Etat et la société, ces deux entités avançant l’une vers l’autre, frileusement. S’il n’est pas dit que cette rencontre en soit réellement une, les évolutions récentes montrent que des dynamiques sont en cours, évoluant sous la forme de laboratoires, expérimentant, faisant et défaisant au fil des évolutions. La part occupée par le marché dans cette équation est aussi non négligeable dans la mesure ou l’existence de ces espaces d’expression est conditionnée aux évolutions que connait la ville au niveau de son urbanisme. Même si le M50 ne voit pas sa pérennité menacée du fait de sa rentabilité, les zones environnantes où l’art a débordé n’ont pas les mêmes garanties. En effet, certains immeubles abandonnés et investis par les street-artistes sont voués à la destruction, ainsi que le mur de la rue Moganshan, menacé par la construction d’un énorme complexe commercial attenant.

奥凯夏

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Street art chinois, M50 Shanghai, février 2017, crédits photo: Aurore Gavenda