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La coopétition sino-brésilienne

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Proposé en 2001 par Jim O’Neill, économiste au sein de Goldman Sachs, l’acronyme BRICs est sensé catégoriser un ensemble de 5 pays représentant les grandes puissances émergentes du monde de demain.

La Chine, aux côtés du Brésil, de la Russie, de l’Inde, et de l’Afrique du Sud, a depuis, avec succès, donné vie à cet ensemble coopératif. Cependant, les relations entre les BRICs ne sont pas nécessairement un long fleuve tranquille et la Chine et le Brésil en sont un exemple éloquent. Ainsi, alors même que l’Empire du Milieu occupe la position de premier partenaire commercial du Brésil depuis 2009, les deux pays possèdent des intérêts divergents dans un certain nombre de domaines.

Au-delà de la Muraille vous propose donc ici de vous donner un aperçu de cette relation coopétitive entre deux géants mondiaux.

Une interdépendance économique flagrante…

Les deux pays ont vu leurs relations commerciales se renforcer depuis les années 1990. Suite à une explosion du commerce entre eux de 2003 à 2009 (+ 600% sur la période), ils entretiennent aujourd’hui des relations économiques que l’on pourrait qualifier de florissantes. La Chine, en quête constante de sécurité alimentaire et énergétique, voit en effet le Brésil comme un partenaire essentiel, celui-ci étant détenteur de vastes réserves pétrolières et minérales, ainsi que de terres agricoles à haut rendement.

Cet intérêt chinois se traduit donc par des échanges commerciaux massifs : la Chine importait en 2013 pour plus de 41 milliards de dollars de produits brésiliens [1], monopolisant en 2014 plus de 20% de ses exportations de pétrole brut, 71% de son soja (utilisé dans la production toujours grandissante de viande en Chine), ainsi que 46% de son minerai de fer [2].

A ces échanges commerciaux se greffent d’importants investissements chinois. Ceux-ci sont principalement réalisés par le biais d’IDE (Investissements Directs à l’Etranger). Ceux en provenance de la Chine ont représenté de 2007 à 2012 environ 68 milliards de dollars [3], soit presque 25% du total d’IDE entrant sur cette même période [4]. Le Brésil pour sa part a besoin de ces échanges avec la Chine, qui lui permettent, par le biais d’une balance commerciale favorable, de soutenir son économie et notamment de financer ses infrastructures, cruciales à son développement.

Cependant, au-delà de cette interdépendance, les deux pays entretiennent des intérêts divergents tant sur le plan économique que géopolitique.

… couplée à une compétition économique et géopolitique

Sur le plan économique, la posture de la Chine, bien qu’en apparence profitable au Brésil, ne permet pas à ce dernier d’exploiter pleinement le surplus d’exportations et d’IDE. En effet, la Chine maintient volontairement un déséquilibre commercial : elle se cantonne à l’importation de produits « de base » à valeur ajoutée relativement faible, tout en inondant le marché brésilien de produits manufacturés rendus extrêmement compétitifs par la faiblesse artificielle du yuan.

Cette relation asymétrique, qui a eu une influence négative sur le développement du secteur industriel brésilien, rappelle par certains aspects une relation commerciale « Nord-Sud », voire néo-colonialiste selon certains détracteurs, et non pas une relation « Sud – Sud » que l’on aurait pu attendre de la part de deux membres des BRICs. A titre d’exemple, l’industrie textile brésilienne a vu son activité diminuer de 15% en 2011, alors que le pays voyait ses importations de textile augmenter de plus de 50% la même année (celles en provenance de chine sont passées de 2007 à 2014 de moins d’1 milliard de dollar à presque 4) [2].

De plus, les IDE en provenance de Chine n’aboutissent pas toujours à un surplus d’emploi pour la population brésilienne, étant donné que les entreprises chinoises font régulièrement appel à une main d’œuvre importée de leur propre pays.

Les volontés de puissance brésiliennes et chinoises se confrontent également sur le plan géopolitique. L’objectif affirmée du Brésil d’unifier la sphère sud-américaine (MERCOSUR) se heurte à l’influence grandissante de Beijing au sein même de cette sphère. De plus, le Brésil fait face à la Chine en Afrique, où les deux pays tentent de conforter leur assise. La Chine considère l’Afrique comme une terre riche en ressources naturelles et en terres arables, là où cette approche paraît peu pertinente dans le cas du Brésil, qui recherche quant à lui une diversification de ses exportations en se basant sur des pays « têtes de pont » comme le Mozambique ou l’Angola, parlant portugais.

Les deux puissances sont donc en compétition dans leur recherche d’influence, notamment dans le secteur agricole, central à leur développement, bien que pour différentes raisons.

A la lumière de ces divergences, la création du forum de coopération IBSA en 2003 (Inde-Brésil-Afrique du Sud), excluant la Chine, ne paraît pas anodine. Ce groupe a cependant été largement handicapé par les crises internes brésiliennes et sud-africaines, ainsi que par le succès du groupe BRICs, que la Chine a assuré en soutenant le développement des relations inter-membres.

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Dilma Roussef en compagnie du Président d'Afrique du Sud, Jacob Zuma, et du premier ministre indien Manmohan Singh lors du 5ème congrès de l'IBSA en Octobre 2011.  

Ainsi, si la Chine et le Brésil forment une entente économique solide au niveau national et mondial, les deux pays se révèlent des compétiteurs sur le plan régional, que ce soit en Amérique du Sud ou en Afrique. Alors que l’OMC rapporte une augmentation conséquente des mesures protectionnistes brésiliennes, et que des voix s’élèvent en Inde et au Brésil en faveur d’un retour en force de l’IBSA pour endiguer l’influence chinoise, on peut s’interroger sur les futures évolutions des relations sino-brésiliennes.

Antoine Rioual

[1] FIEP – MRE Brasil – Saxo Banque

[2] Observatory of Economic Complexity - MIT

[3] CEBC.org

[4] OCDE