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Donald Trump, 45e président des Etats-Unis : quelles conséquences pour la Chine ?

« China just won the U.S. election » titrait le magazine américain Foreign Policy seulement vingt-quatre heures après la victoire de Donald Trump. Si le 45e président des États-Unis se tient à tout ce qui a été dit pendant sa campagne, l’Asie Pacifique est susceptible de connaître une vaste réorganisation de son espace géopolitique et les autorités de Pékin seraient les premières à en profiter. Quelles pourraient être les conséquences de ce revirement de politique américaine dans cette région complexe ?

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Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement américain s’est chargé de bâtir un immense arc de sécurité en Extrême-Orient, faisant du Japon leur premier allié dans la région et signant de nombreux accords de coopération avec les républiques asiatiques, de Séoul à Manille, cloisonnant, à l’époque, les agitations émanant des États communistes. Aujourd’hui, vingt-cinq ans après la fin de la Guerre Froide, c’est la puissance d’un géant qui est encerclée.

Si la politique extérieure du Parti Communiste Chinois (PCC) reste opaque, il y a fort à parier que la Chine cherche à étendre son influence au-delà de ses frontières. Les revendications territoriales en mer méridionale de Chine, outre l’aspect économique qu’elles représentent, ainsi que les pressions exercées sur Taïwan sont symptomatiques de ces velléités hégémoniques, sans cesse limitées par la présence américaine.

Or, avec Donald Trump à la tête de Washington, ce sont de nouvelles perspectives qui s’ouvrent pour Pékin. Le nouveau président s’était, en effet, exprimé sur un éventuel retrait de la politique américaine dans cette région, tuant dans l’œuf le « pivot » asiatique, initié par Hillary Clinton dès 2011 sous le premier mandat de Barack Obama.

Le « pivot » américain en Asie mis à mal par les déclarations de Donald Trump

Au niveau sécuritaire les rivalités sino-américaines se jouent en Asie Pacifique et les conflits se cristallisent en mer de Chine méridional. Cette région est en effet le théâtre de nombreuses revendications territoriales et les deux super puissances s’y affrontent pour contrôler le pouvoir maritime. Si, depuis 2011, grâce à la stratégie de « pivot » asiatique, la balance semblait pencher du côté américain, la situation semble récemment évoluer au profit de la Chine.

La stratégie de « pivot » américain en Asie mise en place depuis 2011, s’est structurée autour de la nécessité de mettre en avant le poids économique et stratégique du continent avec pour centre sa relation avec les Etats-Unis. Ainsi, sa finalité était donc de contrebalancer la montée en puissance de la Chine en instaurant une forte influence américaine dans cette zone. Le point d'orgue de cette politique a été la récente signature du « Trans Pacific Partnership » (TPP), partenariat économique sous l'égide des États-Unis, par les pays asiatiques concernés.

Pays participants aux du TPP (source : Wikipédia)

Pays participants aux du TPP (source : Wikipédia)

Ce traité, a été fortement récrié par la Chine lors des négociations. En effet, il offre aux Etats Unis une puissance considérable en Asie et un certain appui aux pays contestant la puissance chinoise (comme le Vietnam par exemple). Toutefois, la question de sa ratification reste aujourd’hui en suspens, notamment du côté américain. En effet, lors de sa campagne, Donald Trump a affirmé vouloir revenir dessus et abandonner la politique de pivot lancée par sa rivale. Lors de ses déclarations concernant la politique extérieure américaine, le nouveau président américain semblait plus vouloir se tenir à un retour à l'isolationnisme qu’à une position impérialiste.

Ainsi, il avait annoncé son refus de poursuivre le renforcement des liens sécuritaires entre les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud, mis en place pour faire face à la résurgence de la puissance chinoise et à la menace nord-coréenne. Selon lui, ces alliances représentaient une perte d'argent pour son pays et fragilisaient l'emploi américain. Suivant la même idée, il avait également annoncé vouloir retirer les GI's du Japon, abandonner le bouclier anti-missile mis en place contre la Corée du Nord… et rencontrer son leader! Toutes ces déclarations mettaient en avant un brusque changement de la diplomatie américaine qui laisserait ainsi un vide à combler en Asie. On peut donc voir ici, l'énorme opportunité que cette politique représenterait pour la Chine.

En effet, si Washington applique ces idées c’est toute la dynamique de la région qui pourrait changer au profit de la Chine. Depuis le début de l'année déjà, la situation semble évoluer. Le président philippin a ainsi annoncé en septembre qu'il souhaitait stopper ses relations avec Washington pour en développer d'autres avec Pékin, causant par conséquent un bouleversement majeur en mer de Chine méridionale. La Malaisie a, elle aussi, récemment reconsidéré sa position en entreprenant des négociations avec la Chine. A l'inverse, Hanoï s'était de plus en plus rapproché des États-Unis, comptant sur eux pour juguler la monté en puissance chinoise dans cette zone et sa prise de pouvoir sur certains îlots contestés. La puissance américaine semble en effet aujourd'hui la seule capable d'endiguer la puissance chinoise et de contenir ses velléités territoriales.

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Revendications en mer de Chine méridionale et accords sur les frontières (source : Wikipédia)

Une semaine après l'élection de Donald Trump, ces déclarations sont-elles toujours à l'ordre du jour ?

Les récentes déclarations de Donald Trump

Depuis son élection, le président américain est entré en contact avec un grand nombre de chefs d'états. Ainsi, lors de sa discussion avec la présidente sud-coréenne par exemple, un certain revirement a semblé apparaître dans le discours du nouveau président. Il s'est écarté de ses anciennes déclarations en réaffirmant « l'engagement sécuritaire de Washington envers Séoul » afin de garder en vie une alliance « forte » au niveau de la défense de la région asiatique. La question d'une réduction de l'engagement américain en Corée du Sud reste néanmoins en suspens et inquiète nombre de protagonistes et d'experts, qui rappellent que depuis la guerre de Corée, le contrôle des troupes sud-coréennes revient à Washington.

La question de la position américaine vis à vis de la Corée du Nord, plus inquiétante, n’est aujourd'hui toujours pas résolue. Donald Trump avait en effet affirmé vouloir rencontrer le leader nord-coréen ou vouloir remettre le dossier aux Chinois (1). Qu'en est-il aujourd'hui ? Le nouveau président ne s'est pas encore prononcé sur le sujet mais fort est à parier qu'il maintiendra la politique de son prédécesseur, surtout depuis l'avertissement de la Corée du Nord qui a récemment affirmé que les États-Unis auraient dorénavant affaire à un « État nucléaire ». Concernant le Japon, la question est la même. Lors de sa campagne, Trump avait violemment fustigé les politiques nippones ainsi que l'implication américaine sur ce territoire. Toutefois lors de sa prise de contact avec Shinzo Abe, il a affirmé vouloir « renforcer la relation spéciale » des deux pays. En suivant cette lancée, quid de la Chine ? Le même scénario s'est répété lors d’un échange téléphonique le 14 novembre entre les deux chefs d’états. Ils trouvé un accord sur un « renforcement de la relation sino-américaine » avant de fixer une date de rencontre. Le seul point qui semble donc avoir réellement changé est la prise de position des Philippines. Dutertre, le président philippin a en effet annoncé vouloir « cesser les querelles » avec les États-Unis depuis la victoire de Donald Trump. L'homme politique qui avait violemment rompu avec les États-Unis il y a quelques semaines pour se rapprocher de la Chine, semble aujourd'hui vouloir adoucir sa position.

Pour plus d’informations sur les relations entre la Chine et la Corée du Nord : Dossier spécial d’Au-delà de la Muraille dans le numéro de novembre

La situation en mer de Chine méridionale, interface économique et stratégique surnommé « the throat of global sea routes » par le journaliste Robert Kaplan, et plus généralement en Asie Pacifique, pourrait donc être amenée à se retourner brutalement selon les décisions à venir des États-Unis, un des principaux acteurs de la zone. L’équation géopolitique complexe dans laquelle se recoupent de nombreuses sphères d’influences, ainsi que de nombreuses revendications de souveraineté par les divers pays présents dans cette zone pourrait bien s’inverser dans le cas d'un éventuel repli du gouvernement américain, profitant ainsi aux autorités de Pékin pour asseoir leur influence dans la région. Toutefois, il est également probable que Donald Trump revienne sur ses déclarations de campagne. La situation est donc aujourd'hui comme le reste, en suspens.

Aurore GAVENDA

(1) Pour plus d’informations sur les relations entre la Chine et la Corée du Nord : Dossier spécial d’Au-delà de la Muraille dans le numéro de novembre

Les intérêts économiques et financiers : le lien insécable de la relation sino-américaine

Au-delà de l’aspect sécuritaire, les politiques économiques envisagées par le nouveau président américain sont également susceptibles de modifier les relations entre les deux puissances. Pendant la campagne présidentielle, Donald Trump s’est prononcé avec véhémence sur les échanges commerciaux en provenance de Chine et depuis son élection, Pékin mesure les risques que peuvent provoquer ce protectionnisme anti-chinois.

Les États-Unis représentent en effet un partenaire économique important pour la Chine, leurs échanges commerciaux représentant 600 milliards de dollars en 2015. La force du modèle économique chinois repose sur une industrie dynamique, l’exportation de ses produits manufacturés et la forte demande des pays occidentaux, notamment américaine. A titre d’exemple, la Chine avait vu son excédent commercial fortement chuter suite à la crise des Subprimes en 2008, qui avait provoqué une contraction de la consommation mondiale. La hausse exorbitante de 45% des taxes sur les biens en provenance de Chine, comme l’annonçait Trump dans sa campagne, pourrait ainsi causer de sérieux dommages à l’industrie chinoise. Selon Daiwa Capital Market, une banque d’investissement japonaise, cette taxation entraînerait une baisse de 87% des exportations entre les deux pays et amputerait 4,82% du PIB chinois.

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Importations et exportations entre la Chine et les Etats-Unis

Néanmoins, la mise en application de cette politique pourrait être plus compliquée que prévue pour le nouveau locataire de la Maison Blanche, dont les objectifs sont contraires aux règles de l’OMC. Tout d’abord car il desservirait l’économie américaine elle-même. Le marché chinois attire, en effet, les entreprises qui se sont délocalisées pour produire à coût réduit. Foxconn et Pegatron, ces firmes taïwanaises implantées en République Populaire de Chine, fabriquent et assemblent des pièces électroniques pour les grands groupes américains tels que Microsoft, Apple, Dell ou Hewlett-Packard.

La sous-traitance profite donc aux producteurs qui maîtrisent la conception de leurs produits et en détiennent le brevet pour lequel ils touchent des redevances. Dans un autre cas de figure, la Chine pourrait mener des représailles économiques en freinant l’exportation de métaux rares ou en interrompant sa commande auprès de Boeing, visant à se doter depuis septembre 2015 de 300 nouveaux avions de ligne. Finalement, il est important de rappeler que la Chine détient pas moins de 1200 milliards de dollars, soit 20%, de la dette américaine et continue de la racheter à condition que les États-Unis valorisent ses exportations.

Un revirement de Trump à travers une augmentation de la taxe sur les exportations chinoises pourrait dès lors être catastrophique pour les deux pays. En effet, la solvabilité américaine dépend du rachat de sa dette par la Chine dont la réserve de change est principalement basée sur le dollar.

Il existe donc une forte interdépendance qui, selon Pékin, laisse prévoir un adoucissement du discours de Donald Trump. C’est une éventualité qui semble se confirmer car Xi Jinping et son homologue américain se sont accordés à dire que la Chine et les États-Unis doivent « promouvoir le développement économique de chacun et la croissance économique mondiale».

Vincent CALAMAND

Quelles conclusions peut-on tirer aujourd’hui de cette élection pour les relations sino-américaines ?

Si l'élection de Trump pose de nouvelles questions au niveau géopolitique et économique pour la Chine elle représente néanmoins une belle occasion pour ces deux pays de construire une nouvelle relation. Ces dernières années, les tensions se sont accrues entre Pékin et Washington sur des sujets tels que la cybersécurité, la politique interne chinoise et surtout la lutte d'influence en mer de Chine méridionale. La différence affichée de Donald Trump par rapport aux autres personnages politiques américains pourrait donc permettre de changer la perspective de ces sujets.

Dans cette optique, Xi Jinping a adressé, à la suite des résultats de l'élection américaine, un télégramme de félicitation à Donald Trump en se disant « impatient » de travailler avec lui « sans confrontation » et « en vertu du principe de respect mutuel ». La Chine annonce ainsi aujourd'hui souhaiter un « développement stable et solide » des relations entre les deux pays.

Aurore GAVENDA